Pourquoi des livres pour les tout-petits ?
Lire avant trois ans, voilà qui peut paraître anachronique. Trop souvent l’on oppose l’univers de l’écrit à celui de l’image. Or, la lecture de l’image ne nuit pas à la lecture du texte mais au contraire la prépare et la favorise. Tel est le rôle de l’album.
Très tôt, l’album mis entre les mains de l’enfant, lui permet de s’approprier l’objet-livre, avant de s’approprier l’histoire que raconte le livre.
L’album permet à l’enfant de découvrir le monde qui l’entoure mais aussi l’univers intérieur, celui du rêve, des sentiments, de l’humour.
Se poser quelques questions et apporter des réponses
- Un jeune enfant ne déchirera-t-il pas les pages du livre ?
- Que penser des livres qui font peur ?
- Doit-on lire les mots difficiles ?
- Le rituel du livre au coucher est-il nécessaire ?
- Que penser des livres en bois, en plastique… ?
- Comment savoir si l’enfant a bien compris l’histoire lue ?
- Peut-on lire des histoires où la mort est évoquée ?
- En quoi la lecture peut-elle aider à l’acquisition du langage ?
- Que penser des méthodes de lecture précoce ?
Conclusion
De la même manière que l’on parle à un bébé alors qu’il ne parle pas, il faut lui raconter des histoires même s’il ne sait pas lire. Profitons du goût qu’éprouve tout enfant jusqu’à cinq ans, pour lui proposer des livres. N’hésitons pas à lui faire connaître une importante variété d’albums dès son plus jeune âge : le livre fait son chemin en lui.
Pourquoi raconter des livres aux tout-petits par Liliane REBILLARD
"Dans notre civilisation, les enfants sont dès leur naissance entourés de la langue écrite sous toutes ses formes... pas seulement d’écrits utilitaires indiquant le contenu des bouteilles et des boîtes, mais aussi de livres et de journaux. Ce qui différencie les enfants c’est plutôt l’usage des textes écrits que font les adultes autour d’eux. Chez les uns la lecture des livres et des journaux est une activité importante à laquelle le bébé est confronté dès qu’il regarde autour de lui... dans d’autres familles, il n’y a ni livres, ni journaux, ni le temps de la lecture. Et les parents qui ne lisent pas sont souvent ceux qui n’ont pas le temps (ou ne peuvent pas) dialoguer avec leurs enfants. Chez eux le langage reste très proche du quotidien et l’écrit vide de sens, donc porteur d’angoisse. Ce sont souvent des parents qui ont fait une mauvaise expérience avec les livres dans leur enfance... cette mauvaise expérience va peser sur les premières années de la vie de l’enfant mais aussi quand il arrivera à l’âge de la scolarité : les parents désireront que leur enfant lise en ne considérant cet exercice que sous l’angle de la nécessité et de l’effort. Or, on sait bien maintenant qu’apprendre à lire et à écrire implique un temps préalable de jeu avec les histoires et les livres.
Mais il ne s’agit pas seulement en racontant des histoires aux petits, de prévenir des difficultés spécifiques avec l’écrit, mais plus largement de mieux étayer le développement de l’enfant.
Dès les premières années de l’enfant, l’importance des activités ludiques partagées avec les personnes qui l’entourent est bien connue... contrairement aux idées reçues l’écrit et le livre y ont très tôt leur place.
Des enfants de moins de dix mois sont captivés par des albums qu’ils manipulent et réagissent à leur façon quand on leur raconte de courtes histoires.
Mais l’importance et l’intérêt de l’écrit est primordial au moment où se constitue le langage oral entre dix et trente mois. C’est une période d’intense conquête intellectuelle pour l’enfant... à partir des premiers mots « Non » « Moi » « Papa » « Maman » qui sont véritablement signifiants pour l’enfant, s’élabore le langage et se forme la pensée.
C’est pourquoi la langue du récit, de l’histoire racontée joue un rôle primordial.
En effet, deux types de langage :
- le langage factuel, celui du quotidien... qui est un commentaire continu, sans début ni fin, que chacun utilise pour accompagner les gestes de la vie... c’est un langage répétitif avec souvent des phrases incomplètes qui n’ont un sens que dans une situation concrète.
- le langage du récit n’accompagne pas les événements, mais il les relate à distance, avec le pouvoir de bouleverser leur déroulement. Le début fait attendre la fin et entre les deux, se déroulent les séquences du récit (images ou textes)... que l’on peut re-dire re-raconter (les enfants aiment particulièrement écouter plusieurs fois les mêmes histoires et sont très exigeants quant à la répétition des termes).
La langue du récit fait entrer dans un monde magique et va permettre à l’enfant la constitution d’un espace psychique intérieur pour l’imaginaire. La constitution de cet espace est fondamental pour le développement de l’enfant : là s’exerce sa capacité à jouer en lui-même avec les situations et les personnes qui l’entourent, et sa capacité à jouer seul dans sa pensée. Il peut ainsi acquérir une liberté suffisante pour mieux se dégager de ses conflits intérieurs.
Très tôt, l’enfant peut jouer avec cette forme de la langue qui l’enchante... Il joue avec les refrains, les comptines, les historiettes... le rythme, la mélodie.
L’enfant entre six mois et un an prend conscience que l’image est la représentation d’un objet… Il caressera l’image du chat. Puis, très vite, l’enfant remarque que le regard de la conteuse se pose sur les caractères écrits et il fait la relation entre les signes et l’histoire racontée. Tous les bébés ont cette curiosité pour la langue écrite, la langue du récit ; quel que soit leur milieu, leur capacité à s’intéresser à tout ce que véhiculent les textes écrits est étonnante : c’est une activité mystérieuse qu’ils cherchent rapidement à comprendre.
Un peu plus tard, l’enfant fera ses propres hypothèses sur le titre, sur les noms longs ou courts. Quand l’enfant a dix-huit mois et qu’il commence à parler, l’adulte a tendance à réduire son langage aux mots que l’enfant connaît… « réduire le langage peut provoquer des retards de langage ».
C’est pourquoi les temps de lecture avec les tout-petits sont essentiels, mais l’enfant doit pouvoir choisir d’écouter ou non... le livre doit être là et l’adulte raconter sans obligation d’écoute ou de silence... l’attention du jeune enfant est dans le même temps intense et fugace : s’il découvre la continuité du fil du récit et en tire de grandes joies, il est rare qu’il s’installe et manifeste son écoute par un silence attentif... mais l’on peut continuer à raconter pendant que les enfants manipulent d’autres albums, les portent à la bouche, les feuillettent, les retournent tout en étant aux aguets de l’histoire racontée.
Dans notre civilisation le véhicule concret de la langue du récit, ce sont les livres.
Pourtant le récit peut être aussi oral, c’est la langue par excellence des comptines et berceuses, des randonnées, des contes traditionnels et il est très important d’en conter… Ou d’en lire.
Les comptines, les berceuses…
« Langue, musique et poésie cheminent de conserve ».
Dans toutes les cultures on met très tôt à disposition des enfants des textes littéraires en commençant par des comptines, des berceuses…
Elles rythment la journée de l’enfant, l’accompagnent dans ses découvertes essentielles… son corps, son environnement. Nombreuses sont celles qui fonctionnent sur le non-sens, sur l’imaginaire. Toutes ont à voir avec la poésie.
« C’est la 1ère grammaire qui l’on apprend dans toutes les civilisations du monde, c’est la prosodie, la musique de la langue ».
Evelio Cabrejo-Para, psycho-linguiste.
Les randonnées
Les répétitions cumulatives et les ritournelles offrent une expérimentation méthodique et ludique de l’environnement et du langage.
L’enfant attend avec gourmandise l’instant où l’accumulation va s’arrêter et la chaîne se dérouler dans l’autre sens.
A la fin l’ordre est rétabli et on a participé à l’aventure.
Jeu de mémoire et de langage.
« La Promenade de Monsieur Gumpy » - John Burningham (Flammarion) : livre remarquablement rythmé par la mise en page, progression en randonnée puis chute.
La finesse du trait et la transparence des aquarelles concourent à donner à cet album l’impression de convivialité que suggère l’histoire.
A chaque double page, un nouvel animal sur la page de droite demande à Monsieur Gumpy de monter dans la barque, chacun va recevoir une recommandation de prudence.
Les enfants lecteurs imaginent et anticipent le plaisir des conséquences d’une conduite turbulente.
Exemple de randonnées :
- La chasse à l’ours – Martin Waddell (Ecole des Loisirs)
- Roule Galette – Natha Caputo, Pierre Belvès (Flammarion Père-Castor)
Les contes traditionnels
Réservoir d’expériences humaines.
Le conte est un récit généralement court bien construit avec un début et une fin et qui comporte des séquences bien articulées avec le contenu général.
Il raconte les aventures d’un personnage, d’un héros. C’est un récit à la troisième personne, objectif, sans effusion lyrique. Son temps est celui du passé (imparfait et passé simple).
Il n’est situé ni dans le temps, ni dans l’espace de la réalité quotidienne… et à partir d’un fait simple, terre à terre le conte nous entraîne dans des aventures merveilleuses où nous rencontrons des personnages fabuleux, où intervient la magie, pour nous ramener à la fin à une réalité tout quotidienne.
La fin du conte est une fin heureuse, le triomphe du héros.
Comment fonctionne le conte ?
Il a un début, une situation initiale de manque
Une fin, une situation finale de négation de ce manque
Entre les deux, le récit avance grâce à un acte d’un héros, d’un personnage.
Les personnages indispensables au déroulement du récit dont ils sont les actants se divisent en héros et anti-héros. Ils sont réduits à une fonction sociale ou psychologique : le roi, la reine, le pauvre, le riche, le bon, le méchant. Leurs portraits tiennent en une ou deux lignes.
De quoi parle le conte ?
Il a l’homme comme recherche. Il nous parle des évènements importants de la vie, la naissance, la mort, la logique du grandir. Le héros quitte sa mère qui ne peut plus le nourrir et à la fin du conte il a acquis un statut social, il se transforme, subit des épreuves, affirme son identité.
Cette logique du grandir n’est pas dite mais montrée dans des images qui s’adressent directement à notre inconscient.
Pourquoi raconter des contes aux enfants ?
Parce que l’enfant perçoit bien le sens de cette logique du grandir. Les contes parlent des difficultés de la vie, il y est souvent question de vie, de mort, d’abandon, de jalousie, de ruse, d’amour.
« Tout cela fait partie de la construction du sujet, personne ne peut y échapper, de tels mouvements sont inscrits dans le livre psychique du chacun »
Evelio Cabrejo Para
Les contes aident l’enfant « à mettre en scène » les conflits intérieurs qu’il doit résoudre. Ils offrent à l’enfant une image de lui complexe, et le questionnent sur son identité, son rapport au monde.
La simplification des contes, les personnages réduits à une fonction correspond aux besoins de l’enfant qui vit toutes les situations à l’extrême. Ce monde clarifié l’aide à éclaircir ses sentiments contradictoires (en particulier à l’égard de sa mère).
Les contes qui intéressent le plus le jeune enfant sont ceux où l’on joue avec la perte parce qu’en même temps on sait que cela se terminera bien.
La peur du loup ou de l’ours, c’est la représentation de tout ce qui va être menaçant dans le vaste monde.
Apprendre à l’enfant à bien maîtriser ses peurs, ses émotions, c’est en fait le protéger.
Quels contes pour les plus petits ?
Dès 2 ans 1/2 - 3 ans, on peut raconter Les Trois Petits Cochons, Boucle d’Or, Le Petit Chaperon Rouge, Le Petit Poucet. Cela dépend du temps d’écoute de l’enfant.
Avant 3 ans, on peut raconter, lire des randonnées où des phrases rituelles ponctuent le récit. Exemple : La Petite Poule Rousse et ses Trois Amis, La Chasse à l’Ours, Le Ver Dodu, Roule Galette; La promenade de Monsieur Gumpy, jeux de mots, jeux de rimes qui réjouissent toujours les petits et les grands.
Attention aux vraies versions des contes :
- Les trois petits cochons (un seul cochon reste en vie !)
- Boucle d’Or (elle s’en va, nul ne sait où...) "
Conte Africain
Léeboon !
Lippoon !
Il était une fois !
C'est arrivé souvent !
C'était arrivé dans les temps passés, quand les animaux parlaient avec les hommes. Il y avait une femme mauvaise, avec ses quatre fils. Ils habitaient au milieu de la brousse. Le père des enfants mourut quand le cadet vint au monde : celui-ci s'appelait Tôni. La mère pensa que l'enfant était un porte-malheur. Elle le détesta aussitôt. Quand elle revenait de chasse, elle appelait les enfants, un par un, ils tétaient tous sauf Tôni. Elle chantait, disant :
"Diamloro Diamloro viens téter,
Diamloro viens téter
Diamloro Cissé, viens téter,
Diamloro Cissé, viens téter,
Birama Cissé, viens téter,
Birama Cissé, viens téter,
NDama Cissé, viens téter,
NDama Cissé, viens téter ;
Que Tôni attende sa mère Yallah !"
Elle faisait ainsi maintes et maintes fois. Mais la méchante femme ne savait jamais qu'Allah apparaissait à Tôni en génisse blanche pleine de lait, et le nourrissait.
Un jour, un malheur tomba sur la mère. Elle revint de la brousse et entonna la chanson qu'elle chantait pour appeler les enfants. Juste à ce moment Bouki-l'hyène passait. Ce dernier écouta la chanson, l'apprit jusqu'à bien la savoir.
Un jour, la maman des enfants s'en alla chasser, Bouki passa derrière elle, imita sa voix et chanta le refrain. Les enfants sortirent un par un, Bouki les mangeait au fur et à mesure, sauf Tôni, qui se cacha.
Quand la mère revint de la brousse, en chantant, personne ne lui répondit, elle s'étonna beaucoup. Peu de temps après, elle entendit une voix familière lui répondre :
"Diamloro, Diamloro,
Diamloro Bouki l'a pris
Birama Cissé, Diamloro,
Birama Cissé, Bouki l'a pris,
Ndama Cissé, Diamloro,
Ndama Cissé, Bouki l'a pris,
Tôni seul est resté avec Allah sa mère."
Quand elle entendit cela, elle lança un cri perçant et s'enfuit dans la brousse.
C'est de là que le conte est parti dans la mer, le premier à le respirer ira au paradis.
Ce conte est extrait du recueil Contes sérères n°2 rassemblé par Raphaël Ndiaye et Amadou Faye
Pour écouter http://www.conte-moi.net/home.php
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